L’Europe face au désordre stratégique international (2/3)
Le mercredi 6 avril, l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) organisait une journée de conférences centrées sur l’Europe. Nous avons abordé la semaine passée la première table-ronde qui avait pour thème : Schengen, Brexit, euroscepticisme, extrémismes : comment ranimer le débat démocratique européen ? Concentrons-nous désormais sur la seconde table-ronde qui traitait du rôle de l’Union européenne sur les scènes régionale et internationale.
Manuel Lafont Rapnouil, directeur du bureau de Paris du European Council of Foreign Relations, intervenait en premier. Selon lui, l’Union européenne se concentre surtout sur la politique de voisinage. Or son voisinage n’est pas un anneau d’amis mais un anneau en feu (crise ukrainienne, guerre syrienne, conflit israélo-palestinien, chaos libyen, filières terroristes et mafieuses sahéliennes). L’UE n’est pas assez audacieuse et sa politique étrangère est trop limitée. Quelle est sa politique asiatique ? africaine ? Elle n’en a aucune. Pour combler cette carence, il faut sortir du voisinage et voir plus grand c’est-à-dire édifier une diplomatie européenne à l’échelle mondiale. Sans de véritables objectifs de long terme en matière de politique étrangère, l’Europe subit le retour de la guerre en son sein notamment via l’Ukraine et l’annexion de la Crimée mais aussi la crise des migrants. Concernant la crise migratoire, nous sommes doublement naïfs de vouloir créer une Europe forteresse contre les migrants tout en pensant que c’est un problème strictement européen alors que c’est un problème mondial.
L’ordre mondial se redessine avec de plus en plus d’acteurs ce qui relativise la puissance européenne. L’Union européenne dispose déjà d’une expérience en termes d’action diplomatique : création du Service européen pour l’action extérieur, autonomie stratégique certes limitée mais opérationnelle, capacité militaire, sanctions, missions civiles, civilo-militaires et militaires, action diplomatique (rapprochement Serbie-Kosovo, Iran). L’UE agit également via le droit et les normes (Traité sur les armes). Elle porte bien souvent l’ONU dans ses opérations de maintien de la paix mais l’UE n’est pas l’ONU. Elle doit avoir une vision stratégique, de vrais objectifs et doit se doter d’un organe de prospective pour être davantage dans l’anticipation plutôt que dans la réaction. Mais pour cela il lui faut un nouveau projet, une véritable stratégie et un leadership affirmé (et non un leadership allemand par défaut).
Enrico Letta, ancien Premier ministre italien, poursuivait. Il rappelait que les BRICS, même s’ils sont en crise, ont dépassé l’économie de l’UE. Dans le G7 aujourd’hui, il y a 9 personnes dont 6 Européens (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie ainsi que le président de la Commission européenne et le président du Conseil européen). Or dans 20 ans, il n’y aura plus un seul pays européen dans le G7. Le monde bascule et le rattrapage est largement amorcé. Enrico Letta ajoutait avec une pincée d’humour : « En Europe, il y a deux catégories de pays : les petits pays et les pays qui n’ont pas encore compris qu’ils étaient petits ». Pour remédier au décrochage des pays européens, il faudrait selon lui un récit complétement différent. Il s’agirait de dire aux citoyens en quoi la nouvelle Europe est utile. Il faut raconter le récit que seule l’Europe peut fournir plus de sécurité à ses citoyens. L’Europe ne doit pas seulement être ressenti comme le froid de la mondialisation mais au contraire elle doit être présentée comme étant capable de protéger ses citoyens.
Cela ne sert à rien de fermer les frontières, s’il n’y a pas de partage d’informations entre les services de police et de renseignement des pays européens. Enrico Letta appelait alors de ses vœux la création d’un FBI européen. Il rappelait à juste titre que le problème migratoire est devenu européen seulement lorsque l’Allemagne a été touchée par les migrations. Cela illustre la panne de leadership de l’Europe en termes de politique étrangère. Et de conclure : « L’Europe n’est pas seulement un rêve ou un devoir, elle doit être utile et nécessaire pour tous ».